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Enquête
Quartiers oubliés
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En décembre 2022, le quartier de la Bourdonnette voyait son dernier commerce fermer ses portes. Un des plus grands de Lausanne, excentré géographiquement, le quartier se retrouve dans un état de “désert commercial”.
A m’y promener pour faire un reportage, je rencontre des gens qui s’ouvrent à moi, qui me racontent leur histoire, leur désarroi. Et alors je me pose des questions. Comment en est-on arrivé là ? Comment ces gens vivent-ils au quotidien ? Et plus important encore: la Bourdonnette est-elle un phénomène isolé à l’échelle du canton ? J’ai donc décidé de mener l’enquête.
La Bourdonnette, désert commercial
29.03.23
A son avènement dans les années 1970, le quartier de la Bourdonnette répondait à une demande précise: loger des personnes avec des moyens modérés voire bas, principalement issues de l’immigration et qui travaillent sur les chantiers. Pour eux, l’endroit est idéal pour faire grandir leurs enfants dans un cadre agréable. Mais la donne change assez vite, la réputation du quartier est à la traine, l’impression de ghetto domine. Mais le problème actuel, c’est l’absence de commerces. Il reste un médecin, qui cherche, pour l’instant en vain à remettre son cabinet. Un pub aux airs communautaristes, un boucher qui profite de son monopole dans la fixation des prix. Le salon de coiffure a fermé ses portes. La poste aussi, et la dernière épicerie vient de mettre la clé sous la porte.
Dans ces conditions, les habitants sont désarçonnés. Les plus vieux d’entre eux, et donc les moins mobiles, doivent avoir recours à des taxis pour aller faire leurs courses. Tous dénoncent une mauvaise gestion de la ville et de la gérance. C’est un discours de nostalgie, de colère et de tristesse qui ressort des habitants.
Entre le tournage et la diffusion, deux mois au moins se sont écoulés. C’est le temps qu’il m’a fallu pour trouver et tourner les autres quartiers avant d’envisager une diffusion groupée. Les conditions du quartier ont donc changé entre-temps. Le lendemain de la diffusion, une épicerie ouvrait ses portes, ce qui rendait selon moi certaines de mes déclarations dans mon enquête caduques. Néanmoins, cela ne résolvait pas tous les problèmes.
Dans les trois volets de mon enquête, il manque des réactions des parties accusées. Dans le cas de la Bourdonnette, il s’agirait de la gérance ou d’un membre de la municipalité de Lausanne. Le propos de Mountazar Jaffar apporte cependant un élément de réponse qu’ils auraient pu m’adresser: la ville ne peut pas obliger un commerce à s’implanter dans tel ou tel quartier. L’analyse de l’urbaniste, qui fait office de fil rouge dans tous les épisodes, a l’avantage d'expliciter le problème d’un point de vue scientifique.
Gressy, tapie dans l'ombre d'Yverdon-les-Bains
04.04.23
Gressy a été le deuxième “quartier” qui m’est apparu comme correspondant aux critères d’un quartier “oublié”. Anciennement commune de l’agglomération yverdonnoise, entre Pomy et Belmont-sur-Yverdon, Gressy a voté en 2010 sa fusion avec Yverdon-les-Bains, pour des raisons financières principalement.
Si Gressy sort du portrait type d’un “quartier” comme géographiquement proche de sa ville d’adoption, la problématique dont le village souffre ressemble de beaucoup à celle de la Bourdonnette. Les habitants ont un sentiment d’abandon de la ville dont il dépendent, une colère face à un dysfonctionnement organisationnel, une nostalgie face à la “grande époque” de Gressy, bien plus éloignée que celle de la Bourdonnette pourtant.
Au même titre qu’il me manquait un acteur de la gérance à la Bourdonnette, une intervention de la ville d’Yverdon-les-Bains n’aurait pas été de trop ici. Contactés par téléphone, c’est eux qui m’ont relevé quelques initiatives déjà mises sur pied et celles à venir, comme une meilleure couverture en transports publics. Le plus gros défi cependant à Gressy aura été de trouver des intervenants pour le “micro-trottoir”. Comme le souligne le seul habitant qui a bien voulu s’exprimer, c’est un quartier très, très calme…
La Planchette face à sa réputation
31.03.23
Trouver le dernier quartier était un challenge à relever. Il me fallait trouver un troisième endroit qui souffrait de difficultés similaires. J’avais plusieurs possibilités: la Suettaz à Nyon, Gilamont à Vevey, la Planchette à Aigle, la Tour Rouge à Villeneuve. A chaque prise de contact, je me heurtais aux mêmes réactions: mon quartier va très bien, merci au revoir. Les mauvaises réputations dont ils souffraient ont été prises en main par les municipalités, par les services sociaux, de nouvelles infrastructures ont été construites, des associations créées.
Finalement, c’est une déclaration d’un travailleur social de la Planchette qui m’a interpellée. La Planchette, encore plus que la Bourdonnette, a toujours souffert de sa réputation de quartier sulfureux, et pendant longtemps, à juste titre. En me parlant de la venue, quelques années auparavant d’une équipe de Temps Présent pour la RTS, il m’a prévenu qu’aucun jeune n’accepterait de me parler. Ils avaient été blessés, s’étaient sentis trahis par les journalistes. Pendant le tournage, beaucoup de voix s’étaient élevées pour expliquer les initiatives entreprises pour sortir le quartier de la violence, pour dénoncer la mauvaise image du quartier. Eux ne s’étaient jamais sentis en danger, avaient du plaisir à y vivre, aimaient son ambiance. Et à la diffusion, seules les violences, les peurs, les agressions sont ressorties, un portrait a été dépeint qui serait, selon les dires des habitants, aux antipodes de la réalité de leur quotidien.
Face à cette problématique, comment réagir ? Dénoncer publiquement dans ma voix-off le travail de confrères ? Ou le taire tout à fait, au risque de passer à côté d’un phénomène qui a pourtant pris une ampleur impressionnante à la Planchette ?
Après discussion avec mon rédacteur en chef et notamment grâce aux intervenants qui d’eux mêmes, dénoncent l’effet de cette émission, j’ai décidé de nommer son titre. Cela démontre que l’opinion publique peut avoir le même effet qu’une institution publique.
Moins “oublié” que calomnié, la Planchette rejoint cependant les deux autres quartiers pour sa difficulté à sortir d’un carcan qui lui a été attribué de force.